MULTICOQUES MATCH : GRAND-VOILE A ENROULEUR OU CLASSIQUE

Le match de Multicoques Mag est une tribune ouverte, un espace de liberté d'opinion ouvert aux acteurs de la plaisance à plusieurs coques. Pour ce match, nous avons voulu savoir si, dans le cadre d'un grand voyage en bateau, il valait mieux choisir une grand-voile à enrouleur ou une plus classique grand-voile à rond de chute ou à corne... Une vraie question dans le cadre d'un voyage en équipage réduit ! Pour y répondre, nous avons confronté les avis de deux navigateurs au long cours, lecteurs assidus du magazine : Jean-François et John.

Pour la grand-voile à rond de chute ou à corne Jean-François Desmars

Après mes débuts en dériveur, j’ai évolué vers l’IOR (Quarter puis Half) ; quelque titres nationaux, des victoires à la Semaine de La Rochelle, au Spi Ouest-France ; transat en course et une honorable carrière en J80 (coupe de France) avant de raccrocher le stick après un drame familial. Je suis passé sur multi après avoir été séduit par ce concept pendant une location aux Antilles. Un premier bateau plutôt "pépère", ensuite un cata extraordinaire : Casa Marisss, un Petter 50’ d’Erik Lerouge, dériveur, mât-aile rotatif, un peu de kevlar et pas mal de carbone, des finitions sublimes, bref, un salon cosy qui se déplace vite… (et plus que ça !).


Jean-François Desmars multicoques grand-voile

Avec un multicoque, on tente d’approcher un certain idéal du navigateur combinant sécurité, vitesse et confort, dans un ordre qui dépend des priorités de chacun (souvent influencées par une "chacune" !). J’ai opté pour ces 3 qualités dans un ordre qui s’adapte aux circonstances et à l’humeur de la chacune, car à moins d’être un forcené du solitaire (ce qui m’arrive aussi parfois), la croisière même très rapide doit rester confortable pour l’équipage et offrir de belles performances sans avoir à manœuvrer en permanence. L’intérêt réside davantage dans la vitesse moyenne avec glaçons dans le verre que la vitesse maxi embruns dans les yeux. Il est aussi question dans ce qui suit d’être léger pour aller vite, facilement, longtemps selon le credo de Colin Chapman (fondateur de Lotus) : "Light is right". La grand-voile, étant le moteur principal du bateau, se doit de ne pas être un foc (je plaisante !). Il faut donc un poids contenu, une forme réglable et une surface maximale pour un mât déterminé. Sachant que plus on s’éloigne de la surface de l’eau, plus le vent fraichit, il faut mettre de la toile dans les hauts, là où le rendement est le meilleur ! (Certains n’hésitent pas à faire tracter des cargos par des voiles de kite). Commençons donc par mettre un joli rond de chute parfaitement tenu sur notre grand-voile entièrement lattée ou, soyons fous, osons doter la créature d’une corne qui va être à la grand-voile ce que le turbo est au moteur thermique. Il existe maintenant des solutions automatiques pour lever la latte forcée, mais je préfère l’installer moi-même (30 secondes environ). Pour ranger le tout ? A peu près le même temps. Bon, d’accord, mais où est le frein ? Dans un premier temps, le freinage est assisté… par la corne ! Une risée plus forte ? La corne salue l’arrivée de ce vent apparent plus frais qui adonne en déversant naturellement sous le vent. Le vrillage de la grand-voile s’accentue, le bateau accélère tranquillement et on continue à préparer le déjeuner. On n’a pas freiné, on a même accéléré ! Pour les anciens du monocoque, ça ressemble un peu à ce que l’on obtient en reprenant du pataras dans une rafale. Si ça forcit davantage, il faut prendre un ris : 2 ficelles suffisent, la drisse et la bosse. L’amure se croche au bout d’un loop Dyneema. Bien préparée, l’opération prend de 2 à 4 minutes pour passer de 100 m2 à … ce que vous voulez, et même pas peur que le système se coince, y’a pas de système ! J’étais sorti un peu vite pour faire la manip’ en laissant mon apéro sur la table du carré, je reviens, pas une goutte renversée ; je pourrais presque me vanter d’avoir réussi la manœuvre si ce n’était pas aussi facile ! Cheers ! Par paresse, j’ai quand même essayé le ris dit "automatique", un seul bout pour amure et bosse. Ça marche au mouillage, en mer, beaucoup moins bien ! La plaisance lorgne comme toujours sur la course et bientôt sur les voiles rigides, mais leur mise en œuvre et la réduction de surface posent des problèmes encore insolubles, c’est pourquoi une grand-voile entièrement lattée reste une solution simple et très performante. Les progrès en matière de tissus (sur Casa Marisss, c’est un Hydranet Radial quasi indestructible), de tenue des profils, d’accastillage, ont permis de faire grimper les vitesses cibles de façon spectaculaire. J’ai augmenté celle de Casa Marisss de plus d’1 nœud à toutes les allures avec ce type de voile ! Sur 24 h, ça représente 30 milles et une sécurité additionnelle pour limiter la fréquentation d’un champ de vent à des valeurs raisonnables. Si vous partez pour la journée, ça vous laisse le temps de trouver le bon mouillage et de lancer la cuisson des merguez sur le BBQ sans gêner personne, puisque vous êtes là avant les autres ! Chacun et chacune sont dans un bateau, le confort n’est pas tombé à l’eau… pour moi, une grand-voile sans corne, c’est une aile sans plumes !

Jean-François Desmars catamaran grand-voile

Pour la grand-voile à réduction par enroulement dans le mât John Charnley

John navigue depuis plus de 60 ans. Il a été le fondateur de Sunsail en 1975. En 1980, il participe à la transat anglaise avec un monocoque de 43’ et continue ensuite de régater à bord de catamarans et trimarans de 60’, il a navigué à bord d’un grand nombre de monocoques et multicoques. En 1998, il fonde Discovery Yachts avec sa femme Caroline dans l’idée de fabriquer le bateau parfait pour un tour du monde en couple. Le chantier de Southampton produit 4 monocoques différents de 48’ à 67’, et le luxueux catamaran Discovery 50’, dont il est question ici.

John Charnley multicoques grand-voile Discovery 50

Le chantier Discovery s’est spécialisé dans la construction de monocoques spécialement conçus pour être manœuvrés par 2 personnes en grande croisière, nous avons donc décidé que le système de réduction de grand-voile à lattes verticales était la bonne formule. Plus d’un million de milles plus tard, nos propriétaires, ravis, confirment. Quand le chantier a abordé le segment du multicoque, nous avons eu de longues et intenses réflexions sur le type de gréement que nous voulions.
Un système pensé pour un équipage de 2 personnes en croisière : Nous avons alors décidé que le concept de GV à lattes verticales et enroulement dans le mât constituait la bonne voie pour un catamaran. Pour nous et pour la majorité de nos propriétaires qui naviguent en couple, il était vital de pouvoir manœuvrer le bateau en solitaire sans quitter la sécurité du cockpit, particulièrement la nuit.
Facilité et sécurité de manœuvre : Beaucoup de nos propriétaires souhaitent naviguer principalement dans les alizés, le problème avec le système conventionnel ou l’enroulement dans la bôme est qu’il est souvent nécessaire de revenir vent de face pour réduire, cela implique de faire demi-tour contre la mer, de voir le vent apparent augmenter de façon importante en dérangeant tout le monde à bord, et sans doute de faire appel à la personne de repos en bas. Avec le système de réduction par enroulement, un seul équipier peut aisément augmenter ou réduire la surface de grand-voile sans tapage nocturne ni changement de route ! Les lattes verticales permettent de regagner du rond de chute et d’améliorer la forme de la voile en empêchant le faséyage.
Qu’en est-il de la perte de surface dans le haut de la voile ? Pour maintenir une bonne surface de toile, nous augmentons la hauteur du mât et la longueur de la bôme, et le bateau est dessiné pour autoriser une position de bôme assez basse (pas de poste de barre en hauteur), nous récupérons ainsi la surface nécessaire, même si, dans le tout petit temps, une GV à corne ou à maxi rond de chute sera un peu plus performante. Notre expérience montre que, dans ces conditions de vent très faible, la plupart des gens démarrent les moteurs pour rejoindre le mouillage ou se présenter à l’heure de la marée.
Toujours porter la toile du temps : Il y a 40 ans, lorsque les enrouleurs de voiles d’avant sont arrivés, les puristes s’écriaient : "Vous n’aurez jamais une belle forme de voile !" C’était vrai, mais les utilisateurs réalisèrent rapidement qu’avec ce système, ils pouvaient porter la surface exactement adaptée à la force du vent ! Il est très facile de savoir quand il devient nécessaire de réduire à l’avant, encore faut-il le faire ! Et lorsque vous venez de rejoindre votre bannette chaude et que le vent monte, vous vous demandez : "Ai-je vraiment envie d’aller à l’avant changer cette voile ?" Si c’était plus facile, ce serait déjà fait ! C’est exactement la même chose avec la grand-voile à enroulement dans le mât, il est si facile d’ajuster précisément la surface de toile, que c’est ce que vous faites. Nous pensons également que la majorité de nos utilisateurs navigueront dans l’alizé avec plus de 15 à 20 nd de vent réel ; dans ces conditions, il sera nécessaire d’ariser une GV à fort rond de chute, il n’y a donc pas d’intérêt à conserver ce type de profil classique.
Et si ça coince ? En plusieurs dizaines de milliers de milles avec ce système, nous n’avons connu que deux incidents ; tous deux liés à une bêtise de notre part. La balancine de GV pas assez tendue s’est prise dans l’enroulement. Il a fallu dérouler et reprendre la manœuvre après avoir libéré le bout. Beaucoup de marins ont connu ce genre de mésaventure avec l’enrouleur de génois et la drisse de spi. Un peu de pression dans la grand-voile pendant l’enroulement et une balancine tendue assurent un enroulement propre et sans problème. Observer attentivement ce que vous faites peut aussi aider.
Autre avantages… et désavantages ? C’est formidable de ne jamais avoir à hisser la grand-voile, une lourde tâche en équipage réduit ! Il est aussi rassurant de ne pas quitter le cockpit pour quoi que ce soit concernant la GV et de ne plus avoir à mettre en place un système de protection. Les critiques diront qu’avec ce système le mât est plus lourd, vrai, mais la différence est faible ! Si vous voulez vraiment réduire le poids dans les hauts, adoptez un gréement textile. Lorsque nous avons lancé le Discovery 50’, nous pensions que les critiques allaient fuser ; en réalité, ce fut l’inverse. Pendant nos dizaines de milliers de milles, les autres propriétaires de catamarans qui venaient à bord s’écriaient : " Il s’agit là du gréement le plus raisonnable que nous ayons vu." Personnellement, aujourd’hui, je veux par-dessus tout la sécurité et la simplicité de manœuvre ! Si je naviguais constamment avec un équipage de 4 personnes et surtout en régate, j’opterais pour un gréement conventionnel, mais pour la navigation en équipage réduit, je prendrai toujours le système d’enroulement électrique dans le mât.

John Charnley catamaran grand-voile Discovery 50

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