Numéro : 200
Parution : Avril / Mai 2020
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Alizé, César, Lisa et Max accompagnent leur Captain – le père d’Alizé – pour une belle aventure : il s’agit de convoyer Maitai, un Lagoon 450 S, des Sables-d’Olonne à Mayotte. 5 mois de mer, d’aventures, et surtout de fous rires – avec Alizé à bord, impossible de s’ennuyer !
En mer, les occupations sont plus variées qu’on ne pourrait le penser : on mange, on dort, on cuisine, on joue, on fait du sport, on goûte, on admire, on lit, on apprend les nœuds, on refait le monde, on mate la météo, on met le gennaker, on enlève le gennaker, on empanne, puis on réempanne, on prend un ris, on fait du riz, et on recommence, pas forcément dans le même ordre... Tout ça agrémente nos belles journées. En fait, j’appréhendais beaucoup de me retrouver avec mon père, mon homme et mes meilleurs potes sur un catamaran. Il n’y a plus efficace comme test que la vie au large pour savoir si ça le fait avec quelqu’un ou non... Ou ça passe, ou ça casse. A bord, pas d’échappatoire – à part une des pointes avant ou encore la tête de mât pour les plus téméraires. On n’a pas d’autre choix que de se retrouver face à soi-même. Prendre sur soi et parler dès que l’on sent la moindre tension pour crever l’abcès direct, voilà pour moi la clef d’une relation saine et apaisée. C’est une belle expérience. Et quand ça marche, un lien magique se tisse, pour la vie. Mais ce n’est pas facile tous les jours : avec les caractères bien trempés que nous avons tous, il faut parfois mettre son ego de côté.
Service quatre étoiles : à table !
A bord de Maitai, nous nous complétons plutôt bien ; de vraies petites fourmis ! Il n’y en a jamais un qui fait plus ou moins que les autres. Et dès qu’il s’agit de manger, on est tous chauds. Un d’entre nous coupe les courgettes pendant que le deuxième pêche le poisson, le troisième lave la salade et le dernier épluche le concombre. On doit bien passer deux heures par jour chacun à mitonner de bons petits plats. Ce qui est super, c’est que le catamaran est suréquipé niveau matos de cuisine et énergie, alors on peut se faire plaisir et utiliser tous les instruments que l’on veut. Merci aux trois panneaux solaires avec leurs 990 W ! Au programme : gâteaux, salades multicolores, pain maison, pancakes, cakes à tout, lentilles, soupes de potiron, entremets, gratins, pizzas, rillettes de poisson « maison » avec la pêche du jour, eh oui, Messieurs ! Bon, on a quand même l’avantage d’avoir une chef cuistot 4 étoiles à bord, merci Lisa ! Ah on le bichonne, notre Captain ! Ça nous rattrape de tous ces moments où on crie et on saute partout. Ou encore de toutes les conneries qu’on raconte…
Un matelas en moins sur le bimini
Pour la transatlantique nord, on s’est permis d’installer les matelas sur le bimini. Ils sont réalisés sur mesure et sont attachés grâce à des pressions. Mais lors d’un grain, une rafale à 40 nœuds nous les a arrachés – on a juste pu en sauver un à la dernière minute, coincé sur les panneaux solaires. Avant que ce matelas ne s’envole, c’était notre spot du soir ; on se posait là-haut et on regardait toute cette eau qui nous entourait. Au milieu de tout ce bleu, on refaisait le monde, une bière à la main au coucher du soleil. On parlait de projet du genre : « Mais qu’est-ce qu’on va faire après ? On achète un bateau et on organise des fêtes de dingues ? On fait le clip de l’été à bord de Maitai en mode barré en chantant un vieux tube ? On fait des films de notre vie de folie douce ? A quoi sommes-nous bons, nous, dans la vie ? Être heureux et vivre simplement, semble-t-il. Mais qu’est-ce que l’on va faire de nous ? »
Passage festif de l’équateur
Heureusement, il reste les trampolines pour lézarder – avec en souvenir des grosses marques sur la figure ou sur les fesses… bref, une agréable et belle transatlantique jusqu’au Brésil, sans même trop se soucier des vents et des voiles, grâce aux alizés constants et majoritairement en notre faveur. Si on avait su ce que nous réserverait la transatlantique sud dans l’autre sens, on en aurait encore plus profité ! Le passage de l’équateur ? Un grand moment ! Au Cap-Vert, on avait acheté plein d’accessoires débiles dans un magasin chinois. Des chaussettes hautes de toutes les couleurs et des bandanas assortis pour tout le monde, une bouée vert fluo avec plein d’animaux farfelus dessus, des casquettes, une mannequin en plastique pour le Captain en guise de blague pour remplacer ma mère le temps du convoyage, et puis le plus important, notre mascotte officielle ! Un genre de mix entre un âne et un saucisson bleu à quatre pattes rapidement baptisé Gwiny – une longue histoire d’amour. Parés de tout cet attirail, on a préparé le champagne et notre hymne du bord, Oh Lala du groupe PNL. Le décompte pouvait commencer : 10, 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1… ça y est, on a tous la tête à l’envers !
Brasil caliente caliente
On est arrivés au petit matin au Brésil. J’adore sentir l’odeur de la terre avant même de l’apercevoir à l’horizon, surtout après deux semaines de mer. Avant notre amarrage à la petite marina Terminal Nautico de Salvador, juste en face du Mercado Modelo, nous avons bien sûr revêtu nos fameuses tenues. Pas la peine de vous préciser qu’on n’est pas passés incognito et qu’on a bien fait rire Dominique, le gérant de la marina…
J’ai tout de suite adoré les belles rues pavées de Salvador de Bahia, parler portugais, et bien sûr la musique – et quelle musique ! Pour moi, elle est nécessaire à la vie, au bonheur et à l’animation des gens. La musique égaie une rue et met une ambiance magique en moins de deux minutes ! A l’occasion du Carnaval, on ne s’est pas fait prier pour se faire peindre de partout…
Parés pour l’Atlantique sud
Notre séjour au Brésil a été bref – un peu trop à mon goût – et intense. Mais pas question de plaisanter avec l’Atlantique sud et ses dépressions qui rôdent. Notre objectif avant de larguer les amarres : faire nos provisions pour un mois de mer à l’incroyable marché Feira Sao Joaquim, surprenant en couleurs comme à l’odorat. Là, on a sympathisé avec les vendeuses et les brouettes men (les gars qui aident à porter les courses avec leur brouette). Ils ont halluciné de la quantité de trucs qu’on achetait ! J’avais beau leur expliquer notre périple, ils trouvaient tout ça improbable : c’est simple, je leur vidais leur étal, et même les stocks ! L’équipe en avait ras le bol, sauf mon amour de César, que rien ne fatigue et n’épuise. J’ai terminé la razzia par une quarantaine de bouteilles de cachaça – rhum brésilien connu pour son cocktail caïpirinha, un favori à bord de Maitai. Sans mentir, on est revenu avec 100 kilos de fruits et légumes, facile. Tout y était : mangues, noix de coco, ananas, fruits de la passion, papayes, goyaves, épinards, salades, potirons, butternut, haricots. Il y avait même des trucs que j’ai achetés sans savoir ce que c’était ! Quand le Captain nous a vus arriver avec tout ça, il nous a regardés bouche bée – heureusement que César et Max n’ont finalement pas acheté la chèvre qu’il voulait ramener sur Maitai pour lui faire une blague ! Mes compères ont répondu à son regard hébété en disant en même temps : « C’est Alizé. » Les rigolos. Ils me remercieraient plus tard avec du frais jusqu’au dernier jour de nav’, va ! On a assemblé des filets pour ranger tout ça tant bien que mal et on a tout passé à la javel pour éviter les petites bêtes malvenues à bord de Maitai. De son côté, mon père a embarqué 15 bidons de 20 litres en plus du plein de gazole, histoire d’être tranquille et d’anticiper la pétole, toujours possible.
40 à 45 nœuds établis, rafales à 60
Le Captain a vu juste : les débuts de cette transat ont été plutôt cool. On s’est même tapé quatre jours de calme plat. Du coup, en plus de nos jeux et autres rituels débiles, on s’est trouvé une nouvelle activité ; vu que nous étions sur un seul moteur, à chaque fois que nous passions du tribord au bâbord, on faisait une pause moteur de 5/10 minutes, et hop, gros plouf dans le grand bleu. Mais, comme on le dit souvent… c’était le calme avant la tempête.
Journal de bord. Mardi 5 mars : « Il est 2h20 du mat et je n’ai toujours pas dormi. Mais on l’attendait, celle-là, je le savais. Nous sommes en train de nous taper une belle petite dépression avec la mer qui va avec. » Mon père m’avait parlé de ces fameuses dépressions qui stagnent au sud l’été et remontent vers le mois de mars quand arrive le froid. Raison pour laquelle il fallait nous dépêcher. Ce 5 mars, donc, on a essuyé 40 à 45 nœuds de vent établi avec rafales à 60. On avait prévu le coup avec trois ris dans la GV, et génois entièrement roulé. Maitai marchait quand même à 7/8 nœuds avec quelques beaux surfs à 14, et même une pointe à 18,3, foi de GPS. Les vagues étaient énormes – à bord, c’est un peu Space Mountain. J’ai eu l’impression que le bateau allait se disloquer de partout avec ces gros bruits sourds qui me faisaient des frissons dans le dos. Mais j’ai finalement bien aimé tout ça : la mer noire et déchaînée, ça fait partie du jeu. Et puis, en plus de me tenir éveillée, ça m’a donné vraiment l’impression d’être en vie. D’ailleurs, le Captain a préféré rester avec moi dans le carré plutôt que de se coucher dans sa cabine, me disant : « de toute façon, je n’arriverai pas à dormir ». Je lui ai mis notre couverture en laine polaire car il avait froid, lui faisant comprendre qu’il pouvait se reposer tranquille, je veillais au grain… Deux minutes après, il ronquait comme un ours.
Fini le mode vent !
D’un coup, plus rien sur les écrans en ce qui concerne la force du vent et sa direction. C’est évidemment au moment où on en a le plus besoin que l’électronique nous lâche ! Et là, on s’est retrouvés bien embêtés, car évidemment, dans de telles conditions, on navigue en mode vent. C’était bien pratique, car on mettait le pilote avec le vent à 140° au portant pour alléger le catamaran. En plus, le vent était en train de tourner SSE, face à notre route, alors qu’on l’avait WNW. Sans instruments, j’ai tenté, à l’œil et à l’oreille, de prendre des degrés dès que le vent venait trop sur le travers. M’enfin, comment ils faisaient avant ? On a essayé de faire comme les anciens – en moins dégourdis, bien sûr. Il était 4h du mat. Plus que trois heures avant le jour. J’ai essayé de dormir – impossible avec tout ce raffut et ces monstres qui s’éclataient sur nous. Je suis sortie du lit à 7h, dès que le jour a commencé à se lever. Le spectacle de jour m’a laissée sans mots. En quatre ans de tour du monde et de navigation, je n’ai jamais vu une mer comme ça. De nuit, on pouvait imaginer avec les bruits et tout. Mais je crois que de voir, c’est encore pire. Pire que ce que la tête peut imaginer. Les vagues déferlantes sont des monstres qui arrivent sur Maitai telles des montagnes gigantesques. Certaines sont si grosses qu’elles font planter le bateau après un surf, et ça, ça fait flipper. Mais c’est sublime, aussi… Dire qu’il y a une semaine, on était à poil à se baigner dans une mer d’huile !
A 100 milles au nord de la route
Max et Lisa ont fini par se réveiller. Je ne sais pas comment ils ont fait pour ne pas sortir de leur cabine : à l’avant, c’était le parc Astérix ! Ils n’ont pas trop fermé l’œil eux non plus. Du coup, ils se sont levés et nous ont retrouvés dans le carré tous les trois, César, mon père et moi – avec le Ricard et l’andouillette. Ben oui, on ne se laisse pas abattre ! Le vent a commencé à baisser d’un cran avec le jour. Bilan de cette nuit difficile : on s’est fait arracher notre antenne VHF. On pensait avoir perdu également la girouette anémo, mais le vent est revenu d’un coup sur les instruments. Ce devait juste être un faux contact… Au final, on a perdu deux jours, car nous sommes bien remontés de 100 milles au-dessus de la route en restant en fuite – au moins, on n’a pas abîmé le cata. L’avantage de ce « petit » crochet, c’est que Tristan Da Cunha s’est retrouvée sur notre route. Une escale imprévue devient possible chez les habitants les plus isolés du monde, paraît-il. 277 habitants, dont 7 familles, y vivent. Le Captain aurait peut-être préféré ne pas s’arrêter, car le mouillage est réputé rouleur. En moyenne, seulement cinq bateaux par an s’arrêtent sur cet archipel oublié. L’une des îles se nomme même « Inaccessible Island », ça donne une petite idée !
Escale imprévue à Tristan Da Cunha
On a donc négocié de s’arrêter juste pour la journée. On a donc mouillé à 8 heures du matin ; l’équipage s’y est repris à trois fois pour être certain d’être bien accroché par 20 mètres de fond. On a ensuite suivi la procédure décrite sur notre guide concernant l’arrivée à Tristan en bateau, c’est-à-dire appeler le médecin par VHF – un contrôle est effectué afin de s’assurer que l’équipage est en bonne santé avant de débarquer sur l’île. Le médecin a donc répondu, on s’est présentés, puis il nous a dit : « Est-ce que votre équipage se porte bien ? » Mon père a répondu : « Oui. » Et hop, nous avions l’accord du médecin pour débarquer sur l’île. Jamais vu un processus aussi expéditif pour vérifier si un équipage va bien, je crois ! Trois marins sont venus nous chercher avec un beau bateau de pêche en bois. On était contents de se voir et de se dire bonjour. La personne qui s’occupe de l’immigration nous a présenté l’île et nous a un peu expliqué son histoire. On a même eu le droit de visiter le petit musée ; on a acheté des petits porte-clefs, des autocollants de Tristan Da Cunha, et même envoyé des cartes postales. L’île cernée par une mer déchaînée est aussi magnifique que magique, avec ses montagnes, sa végétation grasse et majestueuse... A la fin de la journée, on a offert une bonne bouteille de bordeaux – il semblerait qu’à Tristan, la consommation d’alcool par habitant est très importante… Quand on s’est fait ramener à bord de Maitai par les « chefs » de l’île, l’un d’entre a insisté pour prendre des photos. On a donné quelques noix de coco et des denrées rares qu’ils ne pouvaient trouver sur l’île. Le temps de se dire au revoir avec émotion, la nuit tombait déjà – il était temps de relever l’ancre !
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